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mercredi 20 janvier 2016

Le Web, les communs et la politique : un dialogue de sourds

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/2e/World_wide_web.jpg
Source : Wikimedia

L'actualité numérique est pleine de surprises, ces derniers temps. C'est un peu comme le nombre de personnalités décédées depuis le début du mois de janvier : un véritable festival. Et c'est malheureusement tout aussi affligeant.
(Oui, bon, j'avoue être plus touchée par la mort de Michel Galabru que par celle de Pierre Boulez. Désolée. Mais rien n'arrive à la cheville de la tristesse que j'ai ressentie à l'annonce de la mort de Bertrand Calenge).


Interdiction des liens hypertextes


J'apprends aujourd'hui que des députés veulent proposer un amendement à la loi en cours de débat sur le numérique. A lire ici. Ils proposent d'interdire l'établissement des liens hypertexte « sauf autorisation des ayants droit des contenus vers lesquels ils pointent ».


Et donc, il y a des députés qui ne connaissent pas l'histoire d'Internet (ou, « de l'internet », pardon. Ils n'ont vraiment que ça à foutre au parlement....) et plus particulièrement de la naissance du World Wide Web. Ce sont les liens hypertextes qui ont créé le Web, demandez à Tim Berners-Lee
Donc, ce que veulent ces députés, c'est la fin du Web. Soit disant pour protéger les droits d'auteur. Pour imposer un droit voisin, surtout, et monnayer l'accès aux contenus. 
Bref, bye bye la toile mondiale, bonjour les murs.

Le ministère contre les communs de la connaissance


Ce sont les mêmes députés qui lisent la recommandation du ministère de la Culture et de la Communication pour ne surtout pas privilégier les communs, communiqué à lire in extenso sur le site de la Quadrature du net. 
Grosso modo, le ministère explique aux députés que la création d'un domaine commun informationnel est, je cite « inutile, dangereuse, et inopportune ». 
Alors même que ses missions sont, je cite toujours « de rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres capitales de l'humanité ». (source)

Une petite info, cher ministère de la Culture : « le 30 avril 1993, le CERN a mis le logiciel du World Wide Web dans le domaine public. Puis il a émis la version suivante de l’application sous licence libre afin d’accélérer sa diffusion. En donnant libre accès au logiciel nécessaire pour faire fonctionner un serveur web, ainsi qu’au navigateur et à la bibliothèque de codes associés, il a permis à la Toile de se tisser. » (source)
L'incohérence, ça vous parle ? Comme le dit très bien Neil Jomunsi :

Droits d'auteurs et domaine public


Pour ceux qui n'auraient pas suivi le feuilleton, Olivier Ertzscheid, maître de conférence en sciences de l'information, qui tient un blog très intéressant, s'en prend plein la tête depuis plusieurs semaines par le fonds Anne-Frank parce qu'il promeut l'entrée (ou l'élévation, au choix) du journal d'Anne Frank dans le domaine public. 
Et oui, notre petite Anne, qui a ému plusieurs générations de lecteurs avec son blog d'époque, est morte il y a 70 ans dans un camp de concentration. 
Mais le fonds veut faire admettre que son père Otto est co-auteur de l'oeuvre, et que son entrée dans le domaine public doit donc attendre 70 ans après sa mort à lui. Soit dans 40 ans.
Et donc notre maître de Conf' s'est pris des lettres de mise en demeure dans la tête et ne reçoit aucun soutien officiel. Surtout pas du ministère. Mais heureusement, l'honneur du métier est sauf, il en a de l'ABF.


Clavier adapté au français


Ce même ministère qui veut inventer un clavier plus adapté à la langue française que l'Azerty, alors même que ce clavier adapté existe déjà. Il s'appelle le bépo. C'est Slate qui nous le rappelle
Ou comment gâcher nos impôts avec en voulant créer des trucs inutiles au lieu de favoriser la diffusion de ce qui existe déjà.


PNB, le droit de prêt en bibliothèque


L'immobilisme forcené du ministère en ce qui concerne le droit de prêt numérique en bibliothèque se résume ainsi : chères bibliothèques, demerden sie sich avec vos amis les éditeurs qui pompent les ressources publiques avec des conditions et des tarifs prohibitifs. PNB, ce n'est viable que pour les plus grosses bibliothèques. Qui sont aussi les plus rares sur le territoire français.
Ce positionnement est dénoncé par l'ABF dans un communiqué, auquel la ministre a répondu. J'en rigole encore (jaune).
Je considère que c'est un non-sens absolu de refuser de faire pour les livres numériques ce qui a été fait pour les livres imprimés, à savoir créer par la voie législative une exception au droit d'auteur pour permettre aux bibliothèques de faire leur travail.


Bref, tu l'auras compris, cher lecteur, je suis très remontée contre le ministère de la culture et de la communication, et contre nos députés qui ne comprennent rien aux enjeux du numérique - ou qui décident de ne pas s'en mêler, de peur de faire le jeu de la majorité.
Vive la courte vue, l'opportunisme et la non gouvernance. 
A quoi sert un gouvernement qui ne gouverne pas, mais se contente de choisir quel lobby économique favoriser ?

Bon, je retourne dans ma tanière, où je vais me terrer pendant quelques mois. Bon courage, les gens, on est gouverné par des incapables (et je suis polie, comme le dit si bien Olivier Ertzscheid).