Pages

mardi 3 mars 2015

Pauvre petite bête égarée







« Je trouve un peu fort de Clooney qu'on essaie de me faire entendre que le nom donné par mes parents à ma naissance n'aura été qu'un provisoire pis-aller en attendant que la pauvre petite bête égarée se soit trouvée un maître affectueux. »
Source : http://blog.francetvinfo.fr/ladies-and-gentlemen/2012/12/20/je-nai-pas-de-nom-de-jeune-fille-jai-un-nom-et-puis-cest-tout.html
Je salue bien bas cette petite phrase de l'auteure du blog Ladies and Gentlemen. Je n'aurais pu faire mieux.


Aujourd'hui, nous allons donc parler des noms de famille.

La grande majorité des gens ignore totalement un fait simple : le nom que nos parents nous donnent à notre naissance reste notre nom toute notre vie.
Que nous décidions de nous marier, ou pas.
Que nous soyons une femme ou un homme.
Que nous épousions une femme ou un homme.

La loi française sur les noms de famille indique que le nom de naissance est le nom légal de tout individu, et qu'il est possible de porter en sus un nom d'usage, en cas de mariage. Ce nom d'usage peut être notre nom associé à celui du conjoint, ou être celui du conjoint seul. Et ce, dans tous les cas de figure, que l'on soit de sexe mâle ou femelle.
Mon ami le site ServicePublic.fr indique clairement la chose : « Après le mariage, chaque époux a la possibilité d'utiliser le nom de l'autre. Cette utilisation d'un nom d'usage est totalement facultative et n'a aucun caractère automatique. »

C'est simplissime, n'est-ce pas ? 
Mais alors, dites-moi, comment se fait-il qu'une fois sur une - dans le meilleur des cas, neuf fois sur dix - les gens m'appellent par le nom de mon époux ?
Comment se fait-il que 90% des femmes que je connais considèrent que changer leur nom au mariage est une évidence, une chose qui va de soi ?
Comment se fait-il que lorsqu’on les interroge sur le pourquoi de cette habitude – en admettant qu’elles se soient posé la question et qu’elles sachent que c’est une habitude et non une obligation -, elles répondent avec ferveur que c’est une preuve d'amour pour leur époux ?...
... Si cette assertion reflétait la vérité, on pourrait sans conteste affirmer que presque tous les hommes n'aiment pas leurs épouses, puisqu'ils ne portent pas leurs noms. Un peu « fort de Clooney », n'est-ce pas ?
Alors, bon sang, pourquoi ?


Et bien, je vais vous dire pourquoi (comme disait l'autre) : parce que la société française est basée légalement, historiquement et socialement sur le code civil de Napoléon, pondu au début du 19e siècle. Et que ce code civil, tout révolutionnaire qu'il fût dans d'autres domaines juridiques, était d'un sexisme confondant.
La femme, dans le code napoléonien était une mineure légale en toute circonstance (sauf en cas de veuvage...) et restait sous la tutelle juridique de son père, son frère ou son mari toute sa vie. Elle n'avait aucun droit sur ses biens propres, qui passaient des mains de sa famille à celles de son époux, et ne pouvait rien accomplir sans l'aval de son tuteur légal.
Jusqu’aux années 1970, grosso modo, une femme ne pouvait pas travailler sans l’autorisation expresse de son époux, et si elle le faisait, elle ne pouvait ouvrir de compte en banque ni gérer l’argent qu’elle gagnait sans cette même autorisation.
D’où ce changement de nom au mariage : puisqu’une femme n’était jamais majeure aux yeux de la loi, elle devenait, si ce n’est la propriété (ne poussons pas…), du moins la pupille de l’homme qu’elle épousait.


Continuer à remplacer son nom de naissance par le nom de son mari aujourd’hui, sans y réfléchir ne serait-ce que quelques minutes, est à mes yeux une perpétuation incompréhensible de cette aliénation.

Je connais deux couples mariés dans lequel les deux époux portent les deux noms. Et sur les deux couples, l'un est homosexuel (merci de montrer la voie !). Je connais un seul autre couple marié semblable au mien, où les époux portent chacun leur nom respectif. Mais ces exemples restent encore trop rares, alors que c'est cette variété de situations qui devrait être la norme, et non le port systématique du nom du père pour tous les membres d'une même famille.

Je connais une femme, une seule, qui a réfléchi avant de porter le nom de son époux en nom d’usage. Elle avait une raison de le faire, qui n’appartient qu’à elle et ne regarde personne,  mais elle avait une raison. Une seule femme sur toutes celles que je connais…


Quand mes interlocuteurs apprennent donc que mon nom est le mien (ô stupéfaction !), il se passe des choses intéressantes :
1.      Ils demandent : « ah ? Vous n’êtes pas mariée ? »... Accablé En général, si le sujet est entré dans la conversation, c'est qu'il y a forcément un moment où j'ai précisé que je ne portais pas le nom de mon mari... De plus, je porte une alliance. D’accord, ça ne veut rien dire dans l’absolu, mais c’est tout de même explicite (surtout que je ne porte rien d’autre aux doigts). Je ne vais quand même pas me balader avec un extrait d’acte de mariage toute la sainte journée.... J’ai expérimenté pendant plusieurs années le fait de me voir nommée Mademoiselle dans les courriers et ordonnances d’un médecin qui n’a jamais voulu entendre que j’étais mariée sans changer de nom. La mention Madame n’est apparue dans ses écrits qu’avec la disparition officielle du Mademoiselle.

2.      Ils s’exclament : « Pourquoi ne voulez-vous pas prendre le nom de votre mari ? ». Ce à quoi je réponds invariablement : « Pourquoi ne demandez-vous pas à mon mari pourquoi il n’a pas pris mon nom ? ». Ce qui a le mérite de clouer le bec à une partie d’entre eux. Si ça intéresse quelqu’un, mon mari ne l’a pas fait parce qu’il ne voyait pas pourquoi il porterait un autre nom que le sien. Comme c’est étonnant, mon argument est le même ! Mais quand il s’agit de lui, tout le monde trouve cela normal. Quand il s'agit de moi... Mon propre père a été choqué d'apprendre que je continuerai à porter mon nom. Bon, quand je lui ai demandé si cela ne lui faisait pas plaisir que je perpétue le sien, il n'a plus rien dit... (Gniark gniark !).

3.      Ils conseillent, tout fiers de leur supposée modernité : « Vous pourriez porter les deux noms. » Certes, je pourrais. Mon mari le pourrait aussi. Il ne le fait pas… Moi non plus.


J'ai une anecdote personnelle qui date d'il y a quelques semaines à peine. Je présente à l'entrée d'un hôpital pour mon inscription, trois papiers : ma carte vitale, ma carte de mutuelle et ma carte d'identité. Mon nom est indiqué sur les trois papiers, et sur l'un d'eux seulement est mentionné, en sus et à titre d'information, le nom de mon mari. Devinez sous quel nom j'ai été enregistrée à l'hôpital ?
...
Oui. Celui de mon mari.

Alors qu'on ne vienne pas me dire que je reviens à de vieilles badernes et que le sujet n'a plus lieu d'être. Je suis la première surprise de la nécessité de revenir sans cesse dessus.
J'existe socialement, politiquement, économiquement par moi-même. Je suis responsable de mes actes, et je les assume.
Oh, je vois d'ici les détracteurs : tu n'aimes pas les hommes et tu penses pouvoir vivre sans eux, Bouille, espèce de sexiste misandre. Ben, non, en fait, j'aime les hommes. Beaucoup même. J'aime travailler avec eux, déjà, plus qu'avec les femmes. Et puis je les aime pour d'autres raisons, dont certaines n'ont pas à être évoquées en ce lieu public... Et je ne pense pas pouvoir vivre sans l'autre moitié de l'humanité.
Vivre sous la coupe de l'autre sexe, c'est cauchemardesque. Vivre sans lui, c'est épouvantable. Vivre avec lui, c'est la plus belle chose qui existe.


Chaque homme et chaque femme est libre de faire comme bon lui semble. La seule condition que j’y mettrais, c’est de se donner la peine de réfléchir à la question. Quelle image veut-on donner à nos proches, à nos enfants ? Que veut-on transmettre aux générations qui viennent ?

Alors, cher lectrice, cher lecteur, s'il te plaît, si toi ou un de tes proches décide de se marier, réfléchis - y. Pense à ta place et à celle de l'autre dans notre société, à l'image que tu donnes de toi et de ton genre au reste du monde. Et prends ta décision en connaissance de cause... et de conséquence.