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mercredi 2 avril 2014

Les médiathèques, poubelles des collectivités

Oui. Le titre est provocateur. Délibérément.

Depuis que j'exerce le métier de bibliothécaire territorial, s'il y a bien une chose qui me met hors de moi, c'est le mépris avec lequel les services de ressources humaines ou les décideurs (souvent les élus) considèrent le métier de bibliothécaire.

Combien d'entre nous n'ont-ils pas connu cet instant, crispant entre tous, où un chef de service annonce, tout sourire, que votre problème de personnel va être résolu : tel agent venant du CCAS, de la compta, ou du service urbanisme, est placé chez vous, "pour vous aider".
Oui, car un agent = un agent. La masse salariale est intacte, alléluia !

Combien de fois faudra-t-il le rappeler : les bibliothécaires forment un corps de métier depuis plus de 200 ans. Si, si, la Révolution Française, l'ouverture des premières bibliothèques publiques, ils y étaient. Et que donc, cela fait 200 ans que ces gens développent une expertise dans ce domaine. 
Vous admettrez que c'est mieux que la caste des informaticiens, dont personne ne remet en cause l'utilité ni les compétences spécifiques, et qui existe depuis à peu près... Alan Turing. Soit 150 ans de moins que les bibliothécaires.

Depuis la démocratisation des bibliothèques municipales, il y a 40 ans, souvent nées du travail des bénévoles, le corps de métier des bibliothécaires souffre d'un déficit d'image ahurissant.
  • C'est pas fatigant. Non, c'est vrai qu'on ne passe pas nos journées à monter et descendre des escaliers, piles de documents dans les bras ou chariots plein, cartons entrant ou sortants de la médiathèque, installation et désinstallation d'expo, de chaises, de tables, bouger les bacs pour installer des estrades...
  • Il suffit de savoir ranger des livres sur une étagère, ça s'apprend en 2 mn. Ben oui, essayez donc d'expliquer à votre élu la Dewey en 2 mn, de manière à ce qu'il puisse ranger les documents ensuite. Vous verrez quel bazar il va vous mettre. Plus personne n'y retrouvera ses petits.
  • C'est quand même pas compliqué d'acheter des bouquins. Non, c'est vrai, c'est même le plus simple : il suffit de cliquer sur le bouton "valider la commande". Par contre, vu qu'il y a environ 270 000 livres édités chaque année, et vu qu'on a les sous pour en acheter 270, il faut juste arriver à choisir ceux qui seront les plus pertinents pour la population desservie. Et au fait, ce traité de théologie mystique du spécialiste de renommée mondiale en version originale allemande qui te fait l'oeil, mon bon, n'intéresse personne ici : y a pas d'étudiant au delà du niveau Brevet des collèges.
  • Lire des histoires aux mouflets, rien de plus simple. Oui. Sauf que je ne le fais pas. Vous savez pourquoi ? Je n'ai pas suivi de formation pour cela. Ben oui, ça s'apprend. Ce n'est pas donné à tout le monde. 
En 40 ans, le métier n'a cessé d'évoluer, de changer, de s'adapter aux pratiques culturelles des français. Le thème du prochain congrès de l'Association des Bibliothécaires de France n'est-il pas : « Bibliothèques, nouveaux métiers, nouvelles compétences » ?

Beaucoup de toutes petites bibliothèques fonctionnent encore aujourd'hui grâce au travail des bénévoles. Un bien pour la communauté : mieux vaut une bibliothèque avec des bénévoles que pas de bibliothèque du tout.   
Mais il faut dire aussi que c'est de là que provient le déficit d'image. Puisqu'une petite mamie à la retraite peut le faire, pourquoi s'embêter à embaucher du personnel qualifié, qui coûte cher et qui en plus (!) n'habite pas la commune ?*

Et bien, je vais vous dire pourquoi (comme disait l'autre). 
Parce qu'un bibliothécaire de métier, c'est quelqu'un :
  • qui propose des services novateurs, diversifiés et de qualité, 
  • qui travaille vite (même si certaines tâches restent chronophages, comme la veille documentaire et l'équipement), 
  • qui sait vraiment utiliser tous les outils à sa disposition : catalogue informatisé, statistiques de gestion, communication et médiation via les réseaux sociaux et tous les outils du Web, recherche documentaire sur le catalogue et sur le web,
  • qui peut former les usagers à ces outils,
  • qui sait élaborer une programmation culturelle, et des projets avec les partenaires du territoire, 
  • qui connaît les textes sur le prêt des documents, les conventions avec les auteurs et illustrateurs, les règles des marché publics, bref, tout le tintouin légal autour de l'activité en bibliothèque,
Et j'en passe, évidemment...

Donc, un bibliothécaire de métier, c'est quelqu'un qui améliore la qualité, la pertinence et la diversité des services rendus au public du territoire desservi. 

Alors bon sang, arrêtez de nous refiler vos fonds de tiroir, vos agents en reclassement professionnel pour incapacité, incompétence ou incompatibilité d'humeur, vos fainéants qui cherchent un boulot cool et vos doux rêveurs qui adorent les livres mais qui ont oublié d'aimer les gens. 
Ils sont pires qu'inutiles en bibliothèque,  ils sont souvent nuisibles et se retrouvent parfois en plein burn out, parce que finalement, bosser en bibliothèque, c'est pas ce qu'ils croyaient... 

 
   * : j'ai des anecdotes à la pelle sur ce sujet, ne me lancez pas dessus.