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jeudi 21 août 2014

Naissance d'une féministe

La galère. Dans tous les sens du terme.

Le féminisme n'est pas une maladie. C'est une prise de conscience. 
Qui vient soit naturellement aux gens intelligents, soit après un incident particulièrement marquant.

A l'âge de quinze ans, je passais quelques jours de vacances à bord d'un très beau catamaran amarré dans un port atlantique français. Ce catamaran était presque complètement équipé, et la première sortie d'essai officielle allait avoir lieu très vite. Parce que le capitaine responsable de l'équipement final du navire était de ma famille, nous avions pu y séjourner. Quelle chance !

Par ailleurs, ledit capitaine possédait dans le même port un petit voilier monocoque, avec lequel il nous avait régalé d'une sortie en mer. Bref, tout se passait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Jusqu'au jour où la sortie officielle du catamaran eut lieu. Cette sortie se faisait en présence des huiles, les armateurs et propriétaires du bateau. En tant que parasites familiaux, notre place n'y était pas, naturellement. Nous restions donc à terre le temps de cette sortie.
Sauf que.

Sauf que mon frère fit cette sortie. 

Pourquoi ? Parce qu'il était plus âgé et qu'il pouvait passer pour un marin embauché pour l'occasion ? Non, il est plus jeune que moi.
Parce qu'il s'était caché dans un coin et s'était fait oublier le temps de la sortie ? Non, il était sur le pont comme tout le monde. Sage et silencieux, mais parfaitement visible.
Vous savez pourquoi il a eu le droit de monter sur ce bateau ? 
PARCE QUE C'EST UN GARÇON.
Le capitaine m'a expliqué qu'il pouvait monter parce que qu'il ne dérangerait personne, alors que moi... Moi quoi ? 
Moi, je suis une fille. Et la seule femme qui avait le droit de monter sur le catamaran ce jour-là, c'était sa compagne, titulaire d'un brevet de capitaine en bonne et due forme. 
Parce que les femmes, sauf exception tout juste tolérée, n'ont pas leur place sur les navires.
Pour l'anecdote, ma mère est également restée à terre ce jour là. Mon père eût été présent, nul doute qu'il serait monté à bord.

Ce jour là, je fis ma plus grosse crise d'adolescence. Je partis durant des heures pour pleurer, tempêter et déprimer dans un coin sombre. Ma mère me chercha partout, et ce fut sans doute la seule fois où je lui donnai du fil à retordre.


Cette histoire m'a marquée pour la vie. Parce que je ne m'y attendais pas le moins du monde. Pour moi, il était évident que nous n'avions rien à faire sur ce navire le jour de sa sortie officielle, et que donc, tout le monde restait à terre. 

Rien ne m'aurait permis de penser qu'il y aurait deux poids et deux mesures sous prétexte qu'une partie d'entre nous était dotée des seins et l'autre, de testicules.

Lorsque je me penche sur les raisons de mon féminisme, tout me ramène à ce souvenir. L'injustice la plus profonde. L'iniquité la plus criante, au sein de la même famille. Pour quoi ? Pour un sexisme millénaire basé sur des croyances moyenâgeuse (pardon le Moyen âge). Une honte absolue.


Alors, dans ce blog de bibliothécaire, vous trouverez aussi, de temps à autres, des articles sur ce sujet, sous le libellé "féminisme".

samedi 26 juillet 2014

Acquisitions des compétences : billet de (mauvaise) humeur


Dans le monde, il y a des gens intelligents. 
Et puis, il y a moi.
S'il m'arrive parfois d'avoir des éclairs de lucidité, je suis aussi capable de devenir une insupportable pécore, hautaine, prétentieuse et condescendante. Foncièrement stupide. Si, si.
Tout simplement parce que je n'arrive plus à supporter que la majorité de mes collègues ne maitrisent pas les bases du métier.

Quand je parle de bases, je parle de bases.
Faire une recherche documentaire en connaissant l'usage et l'utilité des troncatures, des opérateurs booléens, des vedettes matière, les filtres. En sachant ce qu'est le bruit et le silence, comment on y arrive et vers quoi il vaut mieux tendre en fonction de la recherche que l'on fait.
Savoir expliquer aux usagers comment utiliser un catalogue informatisé, un portail, ce qu'ils peuvent y faire.
Couvrir un livre. Oui, j'ai une collègue qui est incapable de faire cela après plusieurs années de travail en bib. Pas faute d'avoir essayé de lui apprendre.
Je ne parle pas de veille ou de politique documentaire, de programmation culturelle et de partenariats, hein. Juste la base.

Bref, ces gens qui ne savent rien, je commence toujours par les encourager, les aider, les former, les supporter (dans tous les sens du terme), mais à la fin, je n'en peux plus. 
Parce qu'on n'arrive pas à avancer. Le moindre chantier qui, dans une équipe de bibliothécaires de métier, prendrait une semaine, peut se transformer en usine à gaz de plusieurs mois, tout simplement parce que la moitié de l'équipe ne sait pas de quoi on parle, et encore moins pourquoi on le fait.
Je deviens une espèce de monstre de glaciale indifférence qui, de l'avis général - même le mien - se croit tout droit sorti de la cuisse de Jupiter. Incapable de s'adapter aux champs d'intérêts et aux compétences propres de mes collègues. Cela parce que nous ne parlons tout simplement pas le même langage.

Je dois m'adapter ? Oui, bien sûr. Mais pourquoi serait-ce toujours et systématiquement à moi de faire le chemin ? Suis-je donc dans mon tort de considérer comme normal que les bibliothécaires doivent savoir faire un travail de bibliothécaire ?

Je ne parle pas des autres corps de métier intégrés volontairement dans les bib, dont les missions ne sont pas les mêmes. 
Je parle de ceux, évoqués dans cet article, qui sont parachutés en bib sans savoir ce qui les y attend, en lieu et place de professionnels.

En tenant ce discours, j'ai l'impression d'incarner une mouvance traditionaliste, régressive et réactionnaire de notre métier. Le FN des bibliothèques, quoi. 
Cela me rend malade. Parce que je ne suis pas FhaiNeuse. 
Je sais, d'expérience, tout le bien que peut apporter un collègue issu d'un autre métier.
Mais trop, c'est trop.

Si sur ma fiche de poste, comme sur celles de mes confrères et consoeurs expérimentés, il était indiqué que nous passons 20% de notre temps de travail à former nos collègues débutants, je me porterai mieux, mes collègues se porteraient mieux, les services que l'on rend au public se porteraient mieux. Tout le monde serait content.
Sauf que, quelle bibliothèque aujourd'hui peut s'offrir le luxe de payer un bibliothécaire à former ses collègues en continu ? Laissez-moi répondre : à peu près aucune.

Aujourd'hui, je suis découragée. Je n'ai plus envie de travailler en bibliothèque.
Je me déteste, pour les sentiments que j'éprouve envers des gens qui n'ont rien fait de mal (ils n'ont juste rien fait).
Je suis détestée, parce que je ne peux pas m'empêcher de dire ce que je pense du manque de qualifications de mes collègues. Il ne s'agit ni de les insulter personnellement, ni de les rabaisser, mais de souligner, à chaque fois, à quel point on manque de compétences et combien cela coûte au service rendu à la population.

Bref, vous l'aurez compris, ce billet est un ramassis des pleurnicheries d'une fille qui se lamente sur son sort. Passez donc votre chemin.
Ah, c'est fini ? Tant pis pour vous... ;)



Pour s'informer un peu plus intelligemment sur la question de l'acquisition des compétences en bibliothèque, je vous conseille différentes ressources venues tout droit du dernier congrès de l'ABF, dont le thème était justement « Nouveaux profils, nouvelles compétences » :
  • la présentation slideshare de Dominique Lahary sur "Le métier, les métiers, les formations pour être bibliothécaire", éclairante sur la stupidité abyssale des modalités d'accès aux métiers des bibliothèques,
  • la vidéo de la conférence intitulée Comment acquérir les compétences, avec de gros morceaux d'Anne-Gaëlle Gaudion et son extraordinaire sens pratique dedans, pour faire acquérir des compétences en jeu vidéo aux bibliothécaires qui n'y connaissent rien,
  • ainsi que la table ronde animée par Lionel Dujol (Lioneeeeeeel !*) dans « Les sujets qui fâchent », La politisation des rapports professionnels, où de nombreuses personnes ont témoigné de leurs expériences parfois ubuesques dans leurs rapports avec les politiques, et aussi aux solutions qu'ils ont pu trouver. A 1h 13mn et 20 secondes, les voyeurs (ou plutôt entendeurs), pourront d'ailleurs voir à quoi je ressemble. Vocalement.

*ceci est le cri de la Bouille dans la nuit, à la recherche d'une médiation numérique digne de ce nom en bibliothèque

lundi 14 juillet 2014

La vision bleue : une débutante au congrès de l'ABF

 


La bleue, c'est moi
J'étais une bleue. Une chaste pucelle. Une vierge (pas vraiment effarouchée).

Et, pauvre de moi, je suis allée au congrès de l'ABF. 
Pas l'Association des Brasseurs Français, non. L'Association des Bibliothécaires de France. Quoique par certains aspects, hein... (Mais j'y reviendrai) (à ces aspects) (si, j'insiste).

Donc, en cet an de grâce 2014 après le type qui n'est même pas né cette année là (c'était en - 3 ou 4 , d'après les sources), du 19 au 21 juin, le 60e congrès annuel de l'ABF s'est déroulé à Paris intra-muros, in extremis : 20 mètres plus loin, on était à Issy-les-Moulineaux.

Je suis membre de l'ABF, on m'a dit que c'était bien. Et j'avais eu grave les boules de ne pas pouvoir y mettre les pieds l'an dernier alors que le même évènement se déroulait à Lyon. Donc, j'y suis allée.


La bleue entre dans le temple  
Première impression : l'accueil. Les dames de l'accueil, dont tu découvres un peu plus tard qu'elles sont bibliothécaires comme toi, sont affables. Elles te donnent plein de brochures qui pèsent une tonne dans un tote-bag au chiffre de l'ABF (dont le catalogue de XXX, merci bien, mais je l'ai déjà au boulot...) ainsi que ce qui restera ensuite pendu à côté de ton bureau, tel un trophée, des mois (voire des années !) durant : ton badge de congressiste
Celui où ton nom et ta bibliothèque d'origine sont indiqués. Celui que ton interlocuteur regarde quand il n'a pas la moindre idée de qui tu es. 
Et parfois, cela ne l'aide pas du tout, parce qu'évidemment, sur mon badge, il n'était pas écrit : « Bouille, bibliothécaire forumeuse et atrabilaire bien connue de trois ou quatre clampins sur Agorabib » (non, je ne vous dirai pas ce qui était vraiment écrit).
Ce qui a donné des scènes tout à fait savoureuses avec quelques bibliothécaires qui essayaient de comprendre pourquoi ma conversation leur paraissait familière alors qu'ils ne m'avaient jamais vue.
Non, je ne donnerai pas de nom, parce que ce serait bas, petit, vil et mesquin. Or, je suis un digne pingouin. Mais si vous insistez, il se pourrait que je lâche un nom ou deux en commentaires...

 
La bleue travaille
Ensuite, j'ai suivi des conférences. Toutes les conférences auxquelles j'étais inscrite. Et, non, je ne suis pas partie en goguette faire des emplettes dans le marais pendant mon séjour parisien, comme me l'avait pourtant conseillé un collègue dont, pudiquement, je tairai le nom.
J'étais bien sagement assise dans le hall 5 de la Porte de Versailles, à écouter religieusement les intervenantes (il y avait bien quelques hommes, hein, mais pas beaucoup), à prendre des notes, et parfois même à poser des questions. 
Je suis un modèle de sérieux et d'application. 
Bon, en même temps je prenais quelques photos et je postais quelques commentaires sur Facebook. Mais quand même, hein, j'ai été raisonnable.
Les thématiques que j'ai suivies (l'acquisition des compétences et le travail avec les politiques) m'ont beaucoup intéressées. Je suis ou j'ai été confrontée à ces problématiques durant ma (encore courte) carrière, et j'ai reçu quelques réponses, qui, quand elles n'étaient pas applicables immédiatement, étaient au moins inspirantes.
Je me suis intéressée au travail de la commission legothèque, qui fait écho à des expériences vécues récemment dans l'établissement où je travaille, particulièrement sur l'inclusion des minorités sexuelles et la problématique du genre.
J'ai particulièrement apprécié la dernière table ronde sur la politisation des rapports professionnels, dans Les sujets qui fâchent, durant laquelle nous avons échangé nos expériences souvent invraisemblables, parfois effarantes, dans nos relations avec nos élus de tutelle. Un moment précieux de catharsis, mais aussi de réflexion sur les solutions à envisager pour éviter certaines situations.

 
La bleue observe
Bon, et puis je me suis baladée sur l'avenue dans les allées entre les conférences, lorgnant les stands de fournisseurs, tombant sur des gens connus que je ne pensais pas trouver si loin de chez eux, et faisant connaissance dans la vraie vie avec des gens que je connaissais non d’Ève et d'Adam, mais de Facebook et d'Agorabib, les nouveaux horizons sociaux du bibliothécaire. 
C'est un moment unique que de discuter aimablement avec un collègue rencontré sur le web mais jamais en vrai, et de l'entendre dire au bout d'un moment, alors qu'on évoque, entre autres, notre forum préféré : « hey, mais c'est toi, Bouille ? ». Et moi, acquiesçant, rougissante et balbutiante, un peu gênée aux entournures, tout de même... Mais aussi - soyons honnête - flattée.


J'ai également assisté à l'Assemblée Générale de l'ABF. Enfin, je suis arrivée 30mn en retard, mais vu que ça dure 2h30, hein...
J'ai trouvé intéressant de voir à quoi ressemblait le compte-rendu d'activité d'une asso aussi grande et aussi importante sur le plan national pour notre métier. 
De savoir que les subventions de l'état avaient tellement baissé que l'asso fonctionne désormais totalement à perte, en puisant dans ses réserves, et que cela ne s'améliorera que si plus de bibliothécaires y adhèrent.
De constater que les questions étaient posées dans le calme, que les débats étaient sereins, bref, que personne ne se tapait dessus en public.
De vérifier, à mon plus grand plaisir, que le bureau national de l'ABF n'a pas volé sa réputation humoristique, et que les interventions de la Ligue Majeure d'Improvisation étaient à mourir de rire. 
Une mention spéciale au faux commissaire aux comptes, évoquant la ligne 129 (?) du bilan comptable où il était question du paiement d'une troupe de Chippendales de plus de 1m90 pour l'anniversaire de la Présidente... Mais aussi à la fausse ABF, Association des Brasseurs Français, dont les deux membres ivres morts louaient les bienfaits de leur action. 
C'était vraiment très drôle.


La bleue a fêté ça...
En terminant son congrès par un demi, en terrasse, sous le soleil, avec des tas de gens sympathiques qu'elle n'avait jamais rencontré avant.
Elle espère bien recommencer une prochaine année.

Au fait, le thème de l'an prochain, à Strasbourg, sera La tension créatrice.
Accrochez-vous aux branches, ça va décoiffer !



Congrès ABF 2014



samedi 14 juin 2014

Un peu de pédagogie [1] : le désherbage en bibliothèque

Mais de quoi tu parles, Bouille ?


Une bibliothèque, c'est un bâtiment. Avec des murs, et un toit. Si.
Comme tout bâtiment, on n'entreprend pas tous les quatre matins de l'agrandir. D'abord parce que ça coûte un bras, un oeil et une réputation à une mandature, et ensuite parce que ça fait plein de saletés partout, tellement de saletés qu'il faut déménager son contenu durant les travaux (documents, usagers et bibliothécaires - quoique les derniers, hein, si on pouvait les ensevelir...).
Partant de ce constat, on comprendra donc un fait tout simple : on évite absolument d'avoir besoin d'agrandir trop souvent une bibliothèque.


Une bibliothèque, c'est aussi un lieu de vie culturelle, où on met à disposition des usagers une offre régulièrement actualisée. Genre, si on n'y trouve pas le dernier Marc Lévy, c'est qu'il y a vraiment un problème. Idem pour la dernière production de J.J. Abrams.
Donc, les bibliothèques disposent d'un budget annuel dit "d'acquisition", qui permettent aux bibliothécaires d'acheter des nouveautés. Il y a environ 270 000 livres qui sortent chaque année (je ne parle même pas des DVD et des CD...), et les bibliothécaires puisent dans ce vivier pour maintenir l'actualisation des fonds de la bibliothèque.

Vous voyez où je veux en venir ?
Si, si, je suis sûre que vous voyez.
Des murs qui ne bougent pas + des achats constants de nouveautés = ?
Au bout d'un moment, ça déborde. 
Tout simplement.

Donc, histoire d'éviter le débordement, il existe un truc de bibliothécaire. Cela s'appelle le désherbage. Le désherbage en bibliothèque, c'est le même qu'en jardinage : il s'agit d'enlever les mauvaises herbes.
Le chiendent et l'ortie de la bibliothèque, ce sont les livres abîmés, tâchés, déchirés, CD et DVD rayés ou cassés, et tous ceux au contenu obsolète ou qui ne présentent plus d'intérêt pour les usagers. 
Toutes les bibliothèques publiques désherbent (les patrimoniales un peu moins que les autres, certes).


Comment tu fais ça ? 

Réponse : difficilement.

Quand il y a un peu de mauvaises herbes, on y va brin d'herbe par brin d'herbe, et quand il y en a beaucoup, on utilise le roundup. Oui, le méchant truc de Monsanto qui désertifie les plates-bandes.
Il va sans dire que la deuxième solution est nettement plus radicale, et bien plus choquante à l'oeil nu et candide du péquin moyen.
Un bon bibliothécaire va donc, de préférence, utiliser la première solution : un désherbage progressif et continu, qui ôte peu à peu des collections ses rebuts. Grosso modo, il enlèvera autant de documents qu'il en a acheté dans l'année.

Le problème, c'est que pour se débarrasser de ces documents, il faut que le bibliothécaire en obtienne l'autorisation officielle. Une question de droit : on ne jette pas un bien public comme une peau de banane.
Pour cela, il faut faire passer en conseil municipal/intercommunal/général une délibération autorisant les bibliothécaires à effectuer le désherbage. On trouve un modèle de délibération sur le site de l'ADBDP. 

L'autre problème, c'est que cette autorisation est accordée - quand elle est accordée -  bien souvent au compte goutte, avec pléthore de questions suspicieuses sur le sort et la destination des documents désherbés, et pourquoi, et comment vous les choisissez, et puis, on ne jette pas un livre ! (ben non, on ne les jette pas : on les mange).

Il n'est donc pas rare que les bibliothécaires ne puissent se débarrasser officiellement de ces rebuts qu'une fois de temps en temps, et non de manière continue comme le bon sens le commanderait. Et que, par conséquent, ils doivent entasser pendant des mois - voire des années -, dans des coins improbables du bâtiment, des milliers de documents en attendant l'Autorisation. 
Et quand ils sortent enfin au grand jour, leur quantité impressionne. Alors, lorsqu'on les donne, on les vend ou on les jette, ils attirent immanquablement l'oeil du citoyen vertueux, qui, une fois sur deux, se met à pousser des cris d'orfraie. 
De préférence en présence d'un élu local...
Bref, le serpent se mord la queue.




Pour les non-bibliothécaires


A ceux qui seraient tombés en ces lieux par accident (citoyens lambda ou élus locaux), sachez que jeter un livre n'est pas un sacrilège
L'époque où l'objet livre était aussi précieux qu'un trésor est révolu : 
  • parce que l'édition est de nos jours pléthorique, 
  • et parce qu'on ne parle pas du contenu, mais du contenant.
Quand on met au recyclage une édition de 1964 de La peau de chagrin de Balzac, on ne jette pas l'oeuvre de Balzac. On jette un vieux détritus de  papier, abîmé par des décennies de consultation et de prêt par des centaines, voire des milliers de gens, et on le remplace par une édition neuve du même texte. En papier, ou en format numérique. Bref, l'oeuvre est intacte.
Un livre, dans une bibliothèque publique, est un bien commun, pas un bien personnel. Il n'a d'autre mission que son utilité. Il sera apprécié, parfois chéri, par un certain nombre de personnes, lecteurs et bibliothécaires. Mais il n'appartient en propre à personne.
Et puis, essayez donc de trouver l'utilité d'un livre sur la géographie de l'URSS des années 80 dans un fonds documentaire pour enfants. A part donner de fausses informations auxdits bambins, qui se taperont une tôle à leur exposé « parce que c'était écrit dans le livre de la bibliothèque »...

Pour les plus suspicieux quant à la légalité du désherbage, allez donc voir la fiche de l'ENSSIB sur le désherbage, dont voici un extrait :
« Depuis la publication du Code général de la propriété des personnes publiques en 2006, seuls « les documents anciens, rares ou précieux des bibliothèques » font désormais partie du domaine public [...]. Les autres documents, c’est-à-dire les collections courantes, principaux objets visés par les campagnes de désherbage, relèvent du domaine privé. Ils sont aliénables et peuvent donc être facilement retirés de la bibliothèque, à condition d’en établir une liste. »


Tiens, je suis bonne, je vous donne quelques trucs et astuces


La bonne manière de faire passer le désherbage, c'est d'abord de faire voter une délibération qui autorise explicitement cette pratique de façon continue, sans limite de durée dans le temps ni de quantité de documents éliminés. 
Cela demande un peu de pédagogie vis-à-vis des élus, mais une fois qu'on a fait comprendre tout ce qui précède aux bonnes personnes, ça passe. J'ai pas dit « les doigts dans le nez ».
Et on a enfin un outil de travail utile et pertinent.
Merci, non, pas d'autographe. Mon humilité en souffrirait.

Ensuite, étant donné que les bibliothécaires ont très rarement du temps à perdre, ils/elles ont besoin de se débarrasser rapidement de ces documents. 

Pour cela, trois solutions :
  • la plus politiquement correcte : trouver une association qui vient récupérer régulièrement les livres encore en bon état et pas trop obsolètes. Belle solution, mais attention : elle est quasiment impraticable. D'abord, parce qu'il n'y a presque pas d'associations qui se déplace pour récupérer les bouquins. En général, on doit leur apporter (et on a vraiment autre chose à faire de nos journées de travail). Ensuite, parce que les livres qu'on retire des rayons sont presque toujours soit en très mauvais état, soit obsolètes. Et enfin, parce ces associations cherchent souvent un certain type de documents que nous ne sommes pas souvent en mesure de fournir.
  • la plus efficace mais la moins bien perçue : on jette les livres abîmés dans les poubelles de tri ou on les fait amener à la déchetterie par les services techniques. Et oui, quand l’œuvre est importante, on la rachète !
  • la plus maligne : on met à disposition des usagers, toute l'année, une caisse de livres désherbés en bon état. Souvent, ils sont obsolètes, mais on a toujours des collectionneurs nostalgiques...
 
Bien entendu, nous ne vivons pas dans un monde idéal, et bien souvent on n'a pas le temps de désherber, ou pire, on n'a pas les moyens de racheter les documents qui méritent de l'être, ce qui nous freine très souvent dans nos opérations de désherbage.


A ce dernier argument, je répondrai ce qu'une sage bibliothécaire m'avait dit aux débuts de ma carrière : 

« Ma fille, rien n'est plus parlant qu'une étagère vide.
Si tu gardes des vieux bouquins pour avoir au moins un livre sur chaque sujet, tu peux être sûre de deux choses :
  1. lesdits bouquins ne sortiront jamais, parce qu'ils sont trop vieux (et souvent obsolètes, ce qui est très ennuyeux)
  2. comme ils remplissent les étagères, jamais un élu local ne te croira quand tu diras que la bibliothèque a besoin de plus d'argent pour acheter des nouveaux documents.
Donc, vide tes étagères de tous les livres qui n'y ont plus leur place ».


Sur ces bonnes paroles, je vous laisse méditer, et je m'en vais continuer à désherber.

jeudi 1 mai 2014

Marronnier des bibliothèques [1] : la période post-électorale

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Qu'est-ce qu'on rigole en ces temps de renouveau électoral ! 
On le sait, plein de communes de gauche sont passées à droite, voire plus à droite. L'inverse a été parfois vrai. 
Bref, nous autres bibliothécaires territoriaux nous retrouvons bien souvent avec une nouvelle équipe de conseillers municipaux à... comment dire... hum. Former.

Oh, les nouveaux élus pensent devenir gestionnaire de la commune, ainsi qu'il est de leur rôle légal et démocratique ? 
Nous, nous savons que nous allons devoir les gérer, avec doigté, histoire qu'ils ne fassent pas trop de conneries. 

Je vous vois sauter au plafond, là bas, au fond à droite. A gauche aussi d'ailleurs. Tiens, tout le premier rang a les cheveux dressés sur la tête. Serais-je en train de dire tout bas ce que personne n'a le droit de penser tout haut ? (Comprenne qui voudra).
En fait, ce que je dis, là, c'est ce qu'une majorité d'agents territoriaux pensent des élus qui les cornaquent. Pas les chefs de service, hein, ils sont plus intelligents que ça. Ou du moins, s'ils le pensent, ils ne le disent pas.
(Les élus pensent la même chose de nous). 
(Les relations entre les agents des services de la collectivité et les élus ne sont pas toujours roses). 
(C'est un euphémisme).


Eh oui. La démocratie appliquée est loin d'être aussi utopique que l'idée qu'on s'en fait. Déjà au 4e siècle avant JC, nos amis les Athéniens, inventeurs de la démocratie, devaient payer les citoyens pour qu'ils viennent au débat sur l'Agora, à peine un siècle après l'invention du système. Ce n'est pas joli-joli, ça, n'est-ce pas ?


Pour en revenir à nos moutons, les bibliothèques publiques sont plongées dans une situation paradoxale, et parfois ubuesque. 

Elles sont l'émanation de la volonté politique, c'est à dire du peuple, puisque nous sommes en démocratie. Elle sont nées soit de volonté nationale (bibliothèque nationale, bibliothèques universitaires et départementales), soit de la volonté politique locale - les bibliothèques municipales et intercommunales.
Elles sont créées pour apporter à la population des services en matière de culture, d'information, de formation. Elles sont un lieu d'échange non-marchand. Pour autant, elles représentent un coût élevé pour la collectivité. Oui, oui, la culture a un coût :
  • L'entretien des bâtiments : chauffage, électricité, réparations et rénovations, achat et remplacement du mobilier.
  • Les fonds documentaires : livres, CDs, DVDs, ressources numériques, à renouveler dans une proportion de 10% chaque année. 
  • Le personnel : bibliothécaires, à former et reformer. Parce que le métier de bibliothécaire nécessite une mise à jour constante de ses savoirs-faire, en raison de la rapidité d'évolution des outils de médiation utilisés.
Bref, les bibliothèques naissent et vivent de la volonté politique, des souhaits des élus, de l'argent qu'ils veulent ou peuvent y consacrer.

Mais la gestion de ces bibliothèques est déléguée aux personnes compétentes. Un-e président de la République ou un-e Maire ne possède que rarement les qualités requises, et n'a pas le temps de s'en occuper de toute façon.
Ces personnes compétentes sont des bibliothécaires. Des gens dont c'est le métier. Qui se sont formés pour l'exercer, comme d'autres se forment pour devenir experts-comptable, ingénieurs informatique ou avocats. Bref, des spécialistes.
Comme ce sont des spécialistes, ils savent ce qu'il faut faire, ou ce qu'il ne faut pas faire, suivant le contexte.

Par exemple, un bibliothécaire sait très bien qu'un Maire d'une commune de 4000 habitants limitrophe d'une grande agglomération, qui souhaite faire de sa bibliothèque municipale de 400m² une bibliothèque patrimoniale avec silos de conservation à température et hygrométrie ambiante, parce qu'il ne veut pas entendre parler de désherbage et encore moins de pilon, ce bibliothécaire, disais-je, sait que le Maire se fourre le doigt dans l'oeil jusqu'à la clavicule. Que son projet est intenable financièrement et qu'il n'a strictement aucune pertinence ni intérêt pour la population de la commune.

Autre exemple : un bibliothécaire qui travaille pour un territoire de 30 000 habitants, à qui les élus ôtent 40% du budget d'acquisition ou bien qui décident de ne pas remplacer un responsable de département dont le poste exige des compétences particulières, ce bibliothécaire sait que la bibliothèque file un très mauvais coton. Le public désertera ses murs en un temps record, faute de renouvellement suffisant des fonds ou de personnel qualifié pour effectuer des sélections et une programmation pertinentes. La bibliothèque va péricliter, entrant dans un cercle vicieux : moins de monde, donc moins de budget et moins de personnel, donc encore moins de monde... Et des habitants mécontents, quoi qu'il arrive.


Le bibliothécaire le sait. Mais l'élu nouvellement arrivé non seulement ne le sait pas, mais ne le croit pas. A cause du déficit d'image professionnelle dont nous souffrons (voir l'article précédent).
Pour chaque nouvel élu délégué à la lecture publique, un directeur de bibliothèque doit donc s'atteler à la tâche délicate de créer une relation de confiance suffisante pour faire en sorte que l'élu croie ce que le bibliothécaire sait.
Ubuesque, vous dis-je !


Comme évoqué en commentaire dans un précédent billet par mon bon ami Ferris, l'établissement de la confiance est la partie la plus essentielle des périodes post-électorales. 
Et à chaque nouvel élu, on recommence. On est en butte au mieux, à l'indifférence, trop souvent à l'incrédulité, et parfois à l'agressivité. 
Oui, parce qu'en plus, les élus sont rarement (et inexplicablement) usagers des bibliothèques.
C'est une situation d'autant plus exaspérante que si d'aventure l'élu finit par comprendre et faire confiance au personnel de la bibliothèque, il arrive qu'il ne puisse pas répondre à la demande. Et oui, on sait bien que l'argent ne sort pas de la botte du conseil municipal. On n'est pas idiots. Quoique.

C'est pourquoi, d'un point de vue personnel, je ne préfère pas être directrice de bibliothèque. J'enverrais trop facilement mon élu de référence s'éclater la tête contre le mur, après un croche-pied et un side-kick bien senti dans le bas du dos. Il faut faire preuve d'une patience et d'un sens de la pédagogie développés. Il faut avaler des couleuvres invraisemblables.

Alors, dites-moi, chers collègues directeurs de bibliothèque, comment parvenez-vous à tenir votre rôle sans jamais vous rendre coupable de meurtre sur les élus ? ...ou sur vos subordonnés qui, comme moi, adorent semer la merde.
 


mercredi 2 avril 2014

Les médiathèques, poubelles des collectivités

Oui. Le titre est provocateur. Délibérément.

Depuis que j'exerce le métier de bibliothécaire territorial, s'il y a bien une chose qui me met hors de moi, c'est le mépris avec lequel les services de ressources humaines ou les décideurs (souvent les élus) considèrent le métier de bibliothécaire.

Combien d'entre nous n'ont-ils pas connu cet instant, crispant entre tous, où un chef de service annonce, tout sourire, que votre problème de personnel va être résolu : tel agent venant du CCAS, de la compta, ou du service urbanisme, est placé chez vous, "pour vous aider".
Oui, car un agent = un agent. La masse salariale est intacte, alléluia !

Combien de fois faudra-t-il le rappeler : les bibliothécaires forment un corps de métier depuis plus de 200 ans. Si, si, la Révolution Française, l'ouverture des premières bibliothèques publiques, ils y étaient. Et que donc, cela fait 200 ans que ces gens développent une expertise dans ce domaine. 
Vous admettrez que c'est mieux que la caste des informaticiens, dont personne ne remet en cause l'utilité ni les compétences spécifiques, et qui existe depuis à peu près... Alan Turing. Soit 150 ans de moins que les bibliothécaires.

Depuis la démocratisation des bibliothèques municipales, il y a 40 ans, souvent nées du travail des bénévoles, le corps de métier des bibliothécaires souffre d'un déficit d'image ahurissant.
  • C'est pas fatigant. Non, c'est vrai qu'on ne passe pas nos journées à monter et descendre des escaliers, piles de documents dans les bras ou chariots plein, cartons entrant ou sortants de la médiathèque, installation et désinstallation d'expo, de chaises, de tables, bouger les bacs pour installer des estrades...
  • Il suffit de savoir ranger des livres sur une étagère, ça s'apprend en 2 mn. Ben oui, essayez donc d'expliquer à votre élu la Dewey en 2 mn, de manière à ce qu'il puisse ranger les documents ensuite. Vous verrez quel bazar il va vous mettre. Plus personne n'y retrouvera ses petits.
  • C'est quand même pas compliqué d'acheter des bouquins. Non, c'est vrai, c'est même le plus simple : il suffit de cliquer sur le bouton "valider la commande". Par contre, vu qu'il y a environ 270 000 livres édités chaque année, et vu qu'on a les sous pour en acheter 270, il faut juste arriver à choisir ceux qui seront les plus pertinents pour la population desservie. Et au fait, ce traité de théologie mystique du spécialiste de renommée mondiale en version originale allemande qui te fait l'oeil, mon bon, n'intéresse personne ici : y a pas d'étudiant au delà du niveau Brevet des collèges.
  • Lire des histoires aux mouflets, rien de plus simple. Oui. Sauf que je ne le fais pas. Vous savez pourquoi ? Je n'ai pas suivi de formation pour cela. Ben oui, ça s'apprend. Ce n'est pas donné à tout le monde. 
En 40 ans, le métier n'a cessé d'évoluer, de changer, de s'adapter aux pratiques culturelles des français. Le thème du prochain congrès de l'Association des Bibliothécaires de France n'est-il pas : « Bibliothèques, nouveaux métiers, nouvelles compétences » ?

Beaucoup de toutes petites bibliothèques fonctionnent encore aujourd'hui grâce au travail des bénévoles. Un bien pour la communauté : mieux vaut une bibliothèque avec des bénévoles que pas de bibliothèque du tout.   
Mais il faut dire aussi que c'est de là que provient le déficit d'image. Puisqu'une petite mamie à la retraite peut le faire, pourquoi s'embêter à embaucher du personnel qualifié, qui coûte cher et qui en plus (!) n'habite pas la commune ?*

Et bien, je vais vous dire pourquoi (comme disait l'autre). 
Parce qu'un bibliothécaire de métier, c'est quelqu'un :
  • qui propose des services novateurs, diversifiés et de qualité, 
  • qui travaille vite (même si certaines tâches restent chronophages, comme la veille documentaire et l'équipement), 
  • qui sait vraiment utiliser tous les outils à sa disposition : catalogue informatisé, statistiques de gestion, communication et médiation via les réseaux sociaux et tous les outils du Web, recherche documentaire sur le catalogue et sur le web,
  • qui peut former les usagers à ces outils,
  • qui sait élaborer une programmation culturelle, et des projets avec les partenaires du territoire, 
  • qui connaît les textes sur le prêt des documents, les conventions avec les auteurs et illustrateurs, les règles des marché publics, bref, tout le tintouin légal autour de l'activité en bibliothèque,
Et j'en passe, évidemment...

Donc, un bibliothécaire de métier, c'est quelqu'un qui améliore la qualité, la pertinence et la diversité des services rendus au public du territoire desservi. 

Alors bon sang, arrêtez de nous refiler vos fonds de tiroir, vos agents en reclassement professionnel pour incapacité, incompétence ou incompatibilité d'humeur, vos fainéants qui cherchent un boulot cool et vos doux rêveurs qui adorent les livres mais qui ont oublié d'aimer les gens. 
Ils sont pires qu'inutiles en bibliothèque,  ils sont souvent nuisibles et se retrouvent parfois en plein burn out, parce que finalement, bosser en bibliothèque, c'est pas ce qu'ils croyaient... 

 
   * : j'ai des anecdotes à la pelle sur ce sujet, ne me lancez pas dessus.

samedi 22 mars 2014

Le Grand Silence : être bibliothécaire en période pré-électorale

Tous les bibliothécaires de France et de Navarre - du moins, ceux qui travaillent pour les collectivités territoriales - connaissent ce temps particulier : la période pré-électorale.

Dans cette faille spatio-temporelle, tous les services de la collectivité tournent le bouton off. Ils continuent à œuvrer, oui, mais dans la plus grande discrétion. Ce que j'ai baptisé : Le Grand Silence.

Pour les non initiés, cela est dû au fait que les équipes d'élus en place doivent se faire les plus furtives possibles, histoire de ne pas être soupçonnées de communication en faveur de la campagne d'un candidat aux élections. Il y a des règles de propagande à respecter. Donc, les services territoriaux sous la responsabilité des élus font de même.

Cela peut donner naissance à des situations ubuesques. Voire... Grave débiles.

Prenons une bibliothèque lambda. Elle offre un service nouveau. Ce service est le fruit d'un travail qui remonte à Mathusalem à un certain temps. Cela peut être une offre de livres numériques ou de services en ligne d'auto-formation (dans l'air du temps), un réaménagement, voire un bâtiment neuf (cf l'article précédent).
C'est significatif, important, ça a coûté cher, cela doit rendre service à de nouveaux usagers. 
Sauf que personne n'en entend parler. Pourquoi ? 
Parce que l'aboutissement du projet arrive pendant le Grand Silence. Pas de pub, pas d'inauguration, pas d'invitation, pas de pot, pas d'affiche, pas d'annonce via le site/la page facebook/la newsletter de la collectivité. RIEN.
On dira : "ben pourquoi ils ont pas lancé ce projet plus tard ? ". ben oui, quoi, y sont cons, ces bibliothécaires.
Parce que le temps professionnel n'est pas le temps électoral. 
Que les besoins d'une population sont indépendant du calendrier démocratique. 
Tout simplement.

Ces services ne devraient pas faire les frais d'un excès de prudence politique. Car bien souvent, le Grand Silence est une interprétation ultra circonspecte de la loi. Les élus ont trop peur de ce qu'on pourrait leur reprocher, alors qu'il n'est pas si difficile de prouver que ce genre d'évènement est un hasard du calendrier.
Dans le cas que j'évoque, la mise en place d'un nouveau service est le fruit de longs mois, voire de longues années de travail d'une équipe de professionnels, et l'ordre donné par la tutelle, dont découle ce travail, remonte à encore plus longtemps. C'est facile à prouver, on a toujours des traces écrites dans ce genre de projet. 
Bref, on peut éviter de saboter le travail de toute une équipe à cause d'un principe de précaution à la con. S'il vous plaît, chers élus, ne sabotez pas notre travail. Sinon, nous avons l'impression de travailler dans le vide, et nous finissons aigris et démotivés. Déjà que bon...



Être bibliothécaire en période électorale, c'est aussi avoir à faire aux candidats dans toutes les situations possibles, dans la bibliothèque comme en dehors, mais aussi sur son temps personnel.
Dans toutes les situations, un bibliothécaire se doit de respecter ses devoirs de neutralité politique, de discrétion et de loyauté vis à vis de sa tutelle. Oui, même sur son temps personnel.

Ce qui nous donne des choses comme ce candidat en campagne qui investit, tout sourire, la bibliothèque et interpelle le personnel :
"Bonjour Madame/ Monsieur la/le bibliothécaire, je suis candidat aux élections municipales. Je voulais savoir ce que vous pensiez de la bibliothèque ? Elle marche bien ? Comment ça va ? Vous êtes content(e) ?"
Auquel la/le concerné(e) ne peut pas répondre. Il ne doit pas répondre. Elle/il doit renvoyer le candidat dans ses 22, sans pour autant se le mettre à dos, parce que c'est peut-être son futur patron. Un périlleux exercice d'équilibriste.



On a aussi, en ces temps délétères, quelques excités de la polémique qui débarquent en intimant aux bibliothécaires de leur montrer les objets du délit. Mais si, vous savez...
Comme cet inénarrable :
"Je voulais être certain que vous n'aviez pas le manuel scolaire pornographique : Tous à poil"...
(Extrait tiré du groupe Facebook Tu sais que tu es bibliothécaire quand..., posté le 22 mars 2014)
On appréciera la juxtaposition du terme "pornographique" avec celui de "manuel scolaire", ainsi que la totale ignorance qui transparaît dans le discours, puisque le livre incriminé est un album de littérature jeunesse, pas un manuel scolaire.

Ou ce candidat du FN qui fait remarquer, l'air déjà revanchard alors qu'il vient à peine de débarquer : "Vous n'avez pas Minute ? Je croyais que vous deviez avoir tous les journaux ?". Et qui part lui aussi dans un discours grandiloquent sur l’irresponsabilité des bibliothèques qui osent proposer des albums tendancieux aux enfants. 
La/le bibliothécaire, en face, doit rester de marbre. Le Grand Silence.
Même s'il a une furieuse envie d'assommer son interlocuteur avec le Mourre et lui ferme le clapet en l'étouffant avec le pilon des derniers Marie-Claire.



Et puis on a l'interpellation de candidats sur son temps personnel.

Tu es à une soirée, tu as fini ta semaine et tu te détends. A ta table s'installe une personne que tu connais vaguement, en compagnie d'une autre que tu connais fort bien : elle est élue dans la commune où tu travailles. 
Dans ta petite tête, une loupiote rouge s'allume : ma fille, c'est pas le moment de baver sur tes conditions de travail, tes lecteurs trop stupides, tes chefs incompétents et ces fichus élus qui ne te donnent pas assez de sous pour travailler. 
Au temps pour la détente, il faut rester un minimum sur le qui-vive.
Mais les choses se corsent lorsque la personne que tu n'arrives pas à remettre te fait remarquer qu'elle avait mis les pieds dans ta bib il y a quelques temps et qu'elle avait trouvé le fonds de livres politiques étique. Puis elle te demande carrément : "comment se fait-il que vous n'en achetiez pas plus ? Comment vous les choisissez ?". Le tout, très sérieusement, sur un ton concerné. Elle veut une réponse.

Bon, ben là, fini les vacances, la soirée, la rigolade. La guirlande écarlate des lumières s'est embrasée : tu retournes au turbin, et tous tes devoirs de fonctionnaire ressortent. Neutralité, discrétion, loyauté. Le Grand Silence.
Et tu lui débites, avec tout le sang-froid que tu peux rassembler après deux verres de kir, ton argumentaire professionnel : respect de pluralité des fonds, édition pléthorique, faiblesse du taux de rotation, d'où sélection sévère, bref, politique documentaire
Tout cela sans JAMAIS prononcer le mot "budget", parce que tu as une élue à côté de toi, qui écoute de toutes ses oreilles, et que ledit mot, sorti de ta bouche et même sans être accompagné d'un adjectif qualificatif, est susceptible de passer pour une critique de la politique de la ville qui t'emploie.
La quasi-inconnue écoute avec attention et admet les arguments. 
Heureusement pour toi, l'élue elle-même glisse : "il faut dire aussi qu'il y a une question de budget".
... Raaaaaaah... Soulagement ! C'est pas toi qui l'a dit !
Fin de la torture, tu peux retourner à ton kir et tes blagues débiles.


NB : tu découvres un peu plus tard que cette quasi-inconnue est co-listière, très haut placée, sur la liste dominante de ta commune employeur... Et tu bénis ta relative sobriété à cette soirée !



Tu l'auras compris, cher lecteur : être bibliothécaire en période pré-électorale n'est pas de tout repos. 
La question du livre reste une question porteuse d'affect, un océan d'affect, qui attire tous les débats politiques, des plus nobles aux plus démagogiques. Au milieu, se débat la fille/le type qui essaie juste de bien faire son travail.
Et je peux te dire, ami lecteur, que je suis HEU-REU-SE que les élections aient lieu demain : je n'en peux plus de devoir surveiller chacune de mes paroles et de devoir me méfier de toutes les personnes que je croise.
Vivement demain ! 

dimanche 2 février 2014

La médiathèque de Bron, toute neuve

Je suis passée cet après-midi en coup de vent à la médiathèque Jean Prévost de Bron, flambant neuve. En journée portes ouvertes hier et aujourd'hui, avec inauguration officielle ce matin.


J'aime aller voir les médiathèques neuves, cela permet de voir où on en est dans notre microcosme professionnel.

Bon, vu que je l'ai survolée, mon analyse sera rapide (et sans doute lapidaire). Le bâtiment est disposé sur 6 niveaux, un RDC et 3 niveaux pour le public, et les 2 derniers niveaux pour les services internes. La disposition générale est proche de celle du Bachut à Lyon (pour ceux qui connaissent).



Les plus :
  • beau bâtiment lumineux,
  • cafétéria à l'entrée, proche de l'espace presse. Une craie cafétéria - pas une machine à café - qui donne sur l'esplanade.
  • mobilier clair (blanc, en fait) et bas (pas plus de 1m60 à vu de nez). Donc bonne visibilité, même si je regrette que ce soit du mobilier plein. J'ai une préférence très nette pour le mobilier ajouré, qui permet d'atténuer l'aspect "mur" des rayonnages.
  • multiples petites salles : un contoir (pour les contes, donc), une salle informatique avec 12 postes, deux labos (salles de travail au calme), un atelier pour les animations type atelier d'écriture ou autre.
  • beaucoup de mobilier de confort coloré : banquettes, poufs, fauteuils, grands coussins...

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  • une couleur chaude au sol pour chaque niveau sauf le RDC. Sympa et gai.
  • un ascenseur digne de ce nom, très agréable à l'usage, tout en transparence
  • automates de prêt et retours un peu partout (retours en bas, prêts en bas et à chaque niveau), base RFID
  • pas mal de PC en libre accès au niveau des docs
  • organisation des documentaires par pôle thématique. Sur une base de cotation Dewey, les docs sont réunis par pôle avec à des logos thématiques apposés en haut des dos.

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Les moins : 
  • bâtiment terriblement bruyant. Honnêtement, la lecture d'un album à ma progéniture fut un moment pénible. L'attention est sans cesse détournée par le bruit et je devais élever la voix pour me faire entendre. Je peux comparer avec au moins deux autres bibliothèques où j'ai tenté la même aventure avec le même mouflet : Bron obtient à peine un 8/20 ! Je n'avais pas envie d'y rester trop longtemps... Et je plains de tout mon coeur les collègues qui devront travailler là dedans !
  • RDC froid et impersonnel, dans des tons gris et blancs, vide. Il fait plus hall de gare que lieu d'accueil cosy. Impressionnant, oui, mais pour éviter le côté temple de la culture intimidant pour les populations non captives, on repassera.
  • Espace presse mal éclairé, peu attractif malgré les banquettes de couleur. Cela ne donne pas la moindre impression de détente.
  • pas de grande salle pour un spectacle ou un concert. A moins que le hall ne serve à ça !
  • un gros hic au niveau communication : cherchant les horaires d'ouverture et d'inauguration la veille sur le web, j'ai découvert que le site de la ville de Bron était (et est toujours) indisponible, et que le site de la médiathèque est quasi introuvable via Google. On tombe sur un blog inachevé qui parle du projet, mais c'est tout. J'avais réussi à trouver le site de la médiathèque ce matin, ce soir c'est à nouveau impossible. Pas de page facebook... Je sais bien que c'est difficile de communiquer en période électorale, mais il ne faut pas pousser dans le silence : j'ai failli ne pas y aller tellement je ne trouvais pas d'informations !

Vue d'artiste depuis l'entrée

Et je n'ai aucun lien à proposer, puisque je n'en ai pas trouvé de valide ce soir...
En espérant que cela s'améliore à l'avenir.